Rapport du GIEC : vers la décarbonation des modèles économiques à l‘aide de l’outil Carbone

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Introduction

Le 20 mars 2023, les membres du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du climat (GIEC) ont une nouvelle fois tiré la sonnette d’alarme sur les effets ravageurs de la dérive climatique en cours en citant comme principaux phénomènes :

  • Une multiplication des événements météorologiques extrêmes (sécheresses, inondations, incendies…).
  • Une acidification des océans (concentration de HCO3) et une fonte des glaciers qui pourrait faire monter le niveau marin de 9 cm à 15 cm d’ici 2100.

Faisons un petit retour en arrière : lors de la signature de l’accord de Paris le 12 décembre 2015, 196 pays se sont engagés à agir pour contenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Cependant, les politiques poursuivies continuent de nous faire battre de nouveaux records (410 ppm en moyenne de CO2 dans l’atmosphère en 2017), avec quels que soient les scénarios d’émission, un réchauffement planétaire estimé à 1,5 °C dès le début des années 2030.

Si on se projette dans un futur plus lointain, un scénario d’une montée des températures de 3,2°C d’ici 2100 est posé sur la table. Certains peuvent y voir l’opportunité d’être chaussés plus régulièrement en tongs, tandis que d’autres s’inquiètent des impacts sur nos conditions de vie : mortalité et de la morbidité liées à la chaleur, pénuries massives d’eau salubre, disparition de la biodiversité…

Face ce constat, une forme de solidarité internationale se met progressivement en place avec comme premier de la classe, le groupe de la banque mondiale qui a mobilisé un montant record de 31,7 Milliards de dollars courant l’exercice 2022. Derrière, l’Europe fait office de bonne élève avec l’instauration de son « pacte vert » qui a pour objectif de favoriser la transition économique de ses 27 membres.

I. Quelle Stratégie Climat pour la France ?

En 2022, l’empreinte carbone de la France est estimée à 604 millions de tonnes équivalent CO2 avec la répartition suivante : le transport (29%), les bâtiments (20%), l’agriculture (19%) et la transformation de l’énergie (11%). En termes de classement international, la France se situe en douzième position avec en tête de file la Chine et les Etats-Unis. A noter que les organismes internationaux, tels que l’OCDE, calculent une empreinte carbone en s’appuyant sur un périmètre de GES plus restreint (CO2 énergétique uniquement) que celui de l’indicateur français (CO2, CH4, N2O).

Le ministère de la Transition écologique et solidaire français a fait l’exercice de projection stratégique sur une décarbonation progressive de son économie pour atteindre sa neutralité en 2050. En avril 2020, cette ambition s’est traduite sous un volet opérationnel par la publication de La Stratégie Française sur l’Energie et le Climat (SFEC) mettant en cohérence :

  • La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) : recommandations à court-moyen termes sur les plafonds d’émissions de gaz à effet de serre.
  • La Loi de Programmation sur l’Energie et le Climat (LPEC) : objectif européen de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de -55% d’ici 2030.
  • Le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC) : mesures concrètes et opérationnelles des enjeux climatiques dans les politiques publiques.
  • La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE 2024-2033) : orientations et priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie du territoire.

Au regard de ses objectifs de diminution de son empreinte carbone, la France respecte de justesse ses engagements avec une réduction enregistrée à hauteur de 15 % par rapport à 1995. Ce score est le reflet d’une baisse des émissions intérieures de 31% et d’une hausse des émissions importées de 12%.

Derrière cette réussite peuvent se cacher plusieurs explications : une économie presque à l’arrêt lors de la crise de la Covid-19 en 2020, et une mondialisation des échanges rendant en partie inégalitaire la répartition des émissions de CO2 entre lieu de production et de consommation. Sur ce second point, la distinction entre les notions d’équité et d’égalité devient centrale pour appréhender finement la géographie des émissions par typologie de biens consommés. Un pays comme la Chine pèse plus lourdement sur l’échiquier mondial des émissions du fait de son statut « d’atelier du monde ».

Comme exposé dans le discours tenu par Bruno Lemaire le 3 mars 2023, la volonté de provoquer une révolution industrielle verte en Europe se décline en aides pour la production des outils pour la mettre en œuvre sur le territoire français (panneaux solaires, pales d’éoliennes, pompes à chaleur…) et en aides à la décarbonation de l’énergie. Cependant, cette équation de vouloir réindustrialiser risque de naturellement faire augmenter notre montant total d’émissions de tonnes de CO2, même si au niveau global, on devrait observer une baisse dans d’autres pays par effet positif de compensation.

II. Le secteur bancaire dans cette révolution verte : quelle place ? quels risques ? quels engagements pour le climat ?

L’empreinte carbone des grandes banques françaises représente près de 8 fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière. Ce chiffre est le résultat de l’étude menée par Oxfam France et publiée en octobre 2020 : « Banques : des engagements à prendre au 4ème degré ». En effet, elles sont le poumon du tissu économique français, par extension, les artisans d’un modèle de société qu’elles façonnent. Par leurs choix d’investissement ou de financements actuels, elles restent massivement dépendantes d’industrie dite « polluante ».

Aujourd’hui, les banques font face à des velléités de transformation importantes : d’une part, une pression de plus en plus forte en provenance des gouvernements et des clients, qui tendent à instaurer des réglementations et des législations toujours plus fermes, et d’autre part une transition graduelle des modèles d’affaires, les acteurs du secteur cherchant un alignement entre les activités courantes et une cible décarbonée.

Du côté étatique, différents ministères se sont rassemblés pour élaborer deux labels « verts » :

  • Investissement socialement responsable (ISR) : garant d’une prise en compte de caractéristiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) dans la sélection des investissements.
  • Greenfin : garant de la qualité verte des fonds d’investissement autour d’une nomenclature d’activités éligibles au financement labellisé.

Cette stratégie de sensibilisation des épargnants à l’utilisation de leur argent pourrait rapidement venir affecter le modèle d’affaires des banques françaises sans évolution de leur part. Cela pourrait engendrer une mauvaise réputation, une diminution de la valeur de leurs actifs, une sous-performance des portefeuilles, etc.

De leur côté, les grands acteurs bancaires se sont récemment illustrés avec des actions majeures :

  • Banques d’investissement : limiter le financement des projets composés à 30% ou plus d’hydrocarbures non-conventionnels (molécules organiques exclusivement composées de carbone et d’hydrogène).
  • Banques commerciales : accélérer la transition avec l’arrangement d’obligations vertes et durables (225 Mds€ arrangés au cours de l’année 2021), et de prêts verts et durables à leurs bilans (plus de 100 Mds€ en 2021).

Par ailleurs, structurellement parlant, les directions des risques des banques sont aujourd’hui exposées à plusieurs risques qui peuvent être répartis en deux catégories :

  • Les risques de transition vers une économie bas-carbone : une réglementation qui vient circonscrire les émissions de GES renforçant les coûts (hausse de l’énergie, prix du carbone sur les marchés…) auprès de la banque elle-même et de ses clients (entreprises, ménages…).
  • Les risques physiques liés au climat : des secteurs d’activité touchés de plein fouet comme l’agriculture, induisant une augmentation des coûts et des investissements, pouvant nécessiter in fine de réévaluer la sensibilité des portefeuilles (de crédit) aux risques de transition.

Dans ce jeu subtil d’intérêt entre les parties prenantes internes et externes, une des premières étapes de la transformation du secteur peut consister en une évaluation sans ambages de l’impact de leurs activités (positif ou négatif).

III. Le Bilan Carbone des banques : une boussole à impact avec un défi sur le Scope 3

En rapport avec les risques carbones, l’Agence de la transition écologique (ADEME) a développé en 2004 le Bilan Carbone, une méthode qui permet aux personnes morales d’évaluer le volume d’émissions de gaz à effet de serre produit par les activités exercées sur le territoire national au cours d’une année (art. R229-47 du code de l’environnement).

Plus qu’un bilan ponctuel, cet exercice est l’occasion pour un établissement financier d’assurer sa capacité à respecter les règlementations en vigueur et à venir. A date, seules les entreprises de plus de 500 salariés ont l’obligation d’établir ce bilan (art. L229-25 du Code de l’environnement).

Afin de définir le périmètre organisationnel de cette analyse, les émissions de gaz à effet de serre sont catégorisées en trois postes (ou scopes en anglais) :

  • Scope 1 : Les émissions directes de GES provenant des sources d’énergie fixes ou mobiles qui sont détenues ou contrôlées par la banque (ex : consommation de carburants dans flottes de véhicules de service).
  • Scope 2 : Les émissions indirectes de GES résultant de l’achat d’électricité, de froid ou de vapeur, générés hors site (fournisseurs d’énergie).
  • Scope 3 : Les émissions indirectes de GES provenant de sources qui ne sont pas détenues ou directement contrôlées par la banque. Elle peut prendre en compte les émissions liées aux déplacements de ses employés dans le cadre de leur travail, à la nature de ses investissements (financement de projets fossiles ou écologiques), etc.

Ce travail de cartographie des émissions permet de venir alimenter une partie du rapport RSE avec des indicateurs ESG définis préalablement. Cependant, plusieurs subtilités réglementaires peuvent venir se greffer dans un jeu complexe de filialisation (ensemblier juridique).

Par exemple pour une banque, il n’y a aucune obligation de prendre en considération le Scope 3 dans son Bilan Carbone, bien souvent l’émetteur le plus élevé, si elle n’est pas soumise par ailleurs à la Déclaration de Performance Extra-Financière (art.225-104 du code de commerce). De plus, nulle obligation de transmettre un Bilan Carbone consolidé (art. 244 de la loi de finances 2021). Concrètement, un établissement bancaire, ou autre, peut créer une filiale très polluante en s’assurant d’être sous les radars, ce que certains appellent le « greenwashing ».

Actuellement prises en étau par des enjeux stratégiques liés à une communication forte et une règlementation balbutiante, les Directions Générales des banques se retrouvent à chercher le juste équilibre entre réputation et rentabilité du modèle d’affaires. Les indicateurs extra-financiers sont venus complexifier les décisions des comités d’arbitrage.

Quelle place donner au Bilan Carbone dans la déclinaison de la stratégie RSE ? La préconisation ACI partners

ACI partners a développé des convictions fortes avec la mise en place d’actions concrètes : réalisation de Bilan Carbone, actualisation/formalisation du plan de stratégie extra-financier, inscription de la Raison d’Être au niveau statutaire (société à mission)… Nous nous sommes engagés, ainsi que notre écosystème de partenaires, à construire une vision systémique pour apporter des réponses de transition sur-mesure, au confluent entre plusieurs disciplines : finance, juridique (fiscalité, droit des affaires), SI, prospective, etc.

Point de vue ACI partners : le Bilan Carbone est un outil de prise de recul sur les effets de sa stratégie financière ou le point de départ pour le déploiement de sa stratégie RSE, construite sur des éléments factuels (données).

Dans le cadre de ces réflexions, nous avons développé une méthodologie en 4 étapes :

  1. Définir les activités de l’organisation qui seront prises en compte dans la quantification des émissions de GES au regard des trois scopes.
  2. Récolter les données permettant la cartographie des émissions de GES (données primaires et secondaires).
  3. Convertir les données collectées en émissions de GES, en se référant aux facteurs d’émissions définis dans la Base Carbone de l’Ademe.
  4. Identifier des pistes d’action à mener dans le cadre de la stratégie RSE.

Comme le disait Michael Porter : « L’essence de la stratégie est le choix d’accomplir ses activités d’une manière différente de celle de ses concurrents ». C’est ainsi équipées du bilan de leur impact sur l’économie que les banques pourront œuvrer pour le verdissement de leur chaîne de valeur. Non pas uniquement sur les scopes qui peuvent les arranger, mais sur l’ensemble du tissu économique qu’elles irriguent.

Les Auteurs

Benjamin Bosc

Manager RSE / ESG

« Convaincu que le statut d’entreprise à mission doit avoir une portée juridique plus importante »

Adrien Pina

Manager Transformation / Organisation

« Convaincu que l‘organisation et le partage du savoir ont plus d’effet sur la productivité que les outils et la performance individuelle »